Recif1Qui pourrait croire qu’un minuscule organisme à l’anatomie plus que rudimentaire, fixé sans possibilité de se déplacer, puisse former d’énormes colonies. Ce petit organisme existe bel et bien. C’est un animal que l’on a très longtemps considéré comme une plante : le polype de corail. Et celui qui nous intéresse aujourd’hui héberge des algues microscopiques et construit des structures, considérées comme les plus importantes érigées par un être vivant, dont certaines sont visibles de l’espace : le corail dur ou scléractiniaire (1).

Un peu de systématique
Embranchement : cnidaires
Ce sont des animaux essentiellement marins, à symétrie radiale, capable de lancer des « harpons » urticants pour capturer leurs proies (nématocystes). Dans le même embranchement on trouve les anémones et les méduses.

Classe : Anthozoaires (coraux et méduses)
Caractérisée par l’absence de phase « méduse ». Les gamètes fécondés donnent des larves planctoniques appelées « planula ». Certains anthozoaires ont également une multiplication asexuée.

Sous classe :
Hexacoralliaires parmi lesquels l’ordre des Scléractiniaires ou coraux bâtisseurs de récif (coraux durs) qui font l’objet de cet article.
Octocoralliaires et Cérianthaires sont également placés dans cette sous-classe

Anatomie
RecifPolypeTrès schématiquement, le polype est un organisme tubulaire à symétrie radiaire composée de 2 feuillets (endoderme, ectoderme) entre lesquels se trouve une matière gélatineuse (mésoglée). L’intérieur, divisé par des cloisons radiaires au nombre de 6 (ou multiples de 6) fait office de cavité digestive.
La partie inférieure, le disque basal, est fixée au squelette calcaire. La partie supérieure, le disque oral, fait office de bouche et d’anus. Il est muni de 6 (ou multiple de 6) tentacules.
Le plexus nerveux est rudimentaire, formant un réseau anarchique sauf au niveau des tentacules où se forment des fibres nerveuses. Ce plexus contrôle une musculature composée, en partie, de véritables cellules musculaires. Il n’existe pas de système circulatoire.

La vie sur le récif
RecifRichesseFauniqueChaque polype secrète un squelette calcaire que l’on nomme « polypier ». C’est l’accumulation permanente de ces polypiers depuis des milliers d’années qui forme les récifs coralliens que l’on connaît aujourd’hui.
Même si l’on trouve quelques récifs dans les eaux froides (voire en arctique), ils se trouvent essentiellement dans les zones intertropicales. Un tiers d’entre eux se trouve dans une zone appelée « Triangle de corail » englobant approximativement les côtes de Malaisie, Indonésie, Philippines et Papouasie - Nouvelle-Guinée. On dénombre environ 600 espèces de coraux dans ce « triangle » et beaucoup restent à découvrir.
Très récemment et malgré la turbidité de l’eau, un récif a été découvert au large de l’embouchure de l’Amazone.
Ces récifs sont à l’origine d’écosystèmes très complexes très riches en biodiversité et fournissent protection et alimentation à de très nombreux animaux.
Les récifs ne couvrent que 0,1% des océans. Pourtant, ils abritent le quart de la biodiversité marine (estimée aux envirions de 2 millions d’espèces) et le quart de la totalité des poissons marins.
Les chercheurs estiment que 30 à 40% de toutes les espèces marines ont besoin de la protection des récifs à un moment ou à un autre de leur développement, voire en permanence.

La symbiose
Les coraux s’installent généralement dans des eaux relativement pauvres en nutriments. Ils trouvent donc leur énergie en hébergeant, dans leurs tissus, une algue unicellulaire, Symbiodinium, qui vit en symbiose et qui, par le phénomène de photosynthèse, apporte à son hôte les nutriments indispensables à sa croissance.

Le polype fournit à l’algue des éléments essentiels tels dioxyde de carbone, phosphates, nitrates … En retour, la photosynthèse des algues apporte du glucose, des acides aminés … qui permettent au polype de fabriquer ses protéines et de synthétiser le carbonate de calcium indispensable à l’élaboration de son squelette.
En cas de stress, augmentation trop importante de la température par exemple, les polypes expulsent leurs zooxanthelles. Si la situation dure, la colonie meurt, le squelette calcaire, blanc, apparait d’où le terme « blanchissement ».
Si la situation de stress ne dure pas, le polype peut survivre et réhéberger rapidement une population de zooxanthelles.
Des situations stressantes répétées et/ou rapprochées fragilisent les polypes, rendant leur rétablissement de plus en plus difficile.

Reproduction
RecifReproductionLeur reproduction se déroule de deux façons :
Par scissiparité
Les polypes se divisent et donnent naissance à des clones.
Reproduction sexuée
Les gamètes sont relâchés dans l’eau. Tous les coraux d’un même secteur émettent leurs cellules sexuelles en même temps, ce qui multiplie les chances de fécondation, généralement une nuit de pleine lune.
Une fois fécondée, la cellule se divise et se transforme en larve ciliée appelée « planula » qui va flotter au milieu du plancton. Avec énormément de chance, elle pourra trouver un lieu de fixation qui lui conviendra. Une fois fixée, la larve devient un « polype » qui va ensuite se « cloner » par division pour former une nouvelle colonie.
Cette méthode permet l’installation d’une colonie loin du « pied mère ».

Du polype au récif
Quatre types de récifs peuvent être distingués :
   * Récif frangeant
   * Récif barrière
   * Atoll
   * Banc récifal

C’est Darwin, dans la première moitié du 19è siècle, qui a proposé une théorie concernant la formation des récifs.
Selon lui, à l’origine, le corail colonise le pourtour d’une île volcanique. Ce massif s’affaissant, sur une période qui dure plusieurs millions d’années, le corail se détache progressivement tout en progressant vers le haut de façon à rester à une profondeur optimale pour sa survie. Tous les récifs (excepté les bancs récifaux) seraient issus de ce processus, à un stade plus ou moins avancé.

Le récif frangeant
RecifFrangeantC’est le premier stade de la formation d’un récif. Celui-ci s’établit sur les bords littoraux. Au fil du temps, ce littoral se remplit d’alluvions, de coraux morts … et devient défavorable à la croissance du récif : peu de courant, température élevée…. La construction du récif tend donc à s’éloigner de la côte.
Entre le récif et cette côte se forme un lagon qui va s’approfondir, d’autant plus rapidement que l’île s’érode et/ou s’enfonce. Les coraux s’adaptent en croissant en hauteur, leur socle calcaire s’épaissit.

Le récif barrière
RecifBarriereRecifCoupeBarriereL’île s’est enfoncée. Le récif frangeant s’est éloigné de la côte, quelquefois à plusieurs centaines de mètres. Le lagon s’est creusé. Le récif devient « barrière »
À certains endroits, des îlots sablonneux ont pu se créer sous l’action des courants. La végétation peut s’y installer. Certaines fois, on peut y trouver, en bordure, des blocs coralliens appelés « patates » voire l’installation d’un récif frangeant qui, à très long terme, formera une double barrière. Celle-ci est très rare puisqu’il n’en existe pas plus d’une dizaine dans le monde dont à Mayotte.
Le récif peut être discontinu, façonné par les vagues et courants. Des passes réunissant haute mer et lagon apparaissent.
Et, pendant ce temps, l’île continue de s’éroder, de s’affaisser, augmentant ainsi la taille du lagon. Les coraux croissent toujours en hauteur, leur socle calcaire est de plus en plus épais.

L’atoll
RecifAtollSous l’effet de l’érosion et de son enfoncement, l’île est désormais immergée. Il ne reste que la couronne corallienne avec, en son centre un lagon. Cette couronne peut être continue ou plus ou moins discontinue, avec de nombreuses passes qui, entre les îlots ainsi formés, relient l’océan au lagon. Certains de ces îlots peuvent héberger de la végétation.

Le banc récifal
C’est un récif qui s’est formé en haute mer, sur un haut fond. Tous ces derniers ne peuvent accueillir les coraux. Il est en effet nécessaire que, sous l’action des courants, les « planulas » puissent y accéder et s’y fixer.

Les dangers
Le réchauffement climatique - Le blanchissement

Le réchauffement actuel représente une menace sans précédent pour les récifs coralliens.
En raison de l’élévation de la température de l’eau, les polypes expulsent leurs zooxanthelles. Privés de nutriments, ils périssent alors rapidement et blanchissent.
Ce blanchissement n’est pas irréversible si la hausse de température ne dure que peu de temps et si elle n’est pas répétitive. Malheureusement, ces dernières années, les épisodes de blanchissement se succèdent et ne laissent pas, aux coraux, le temps de se régénérer.
En mars 2020, par exemple, les équipes de l'université James Cook (Townsville - État du Queensland) ont passé en revue, courant mars, plus de 1000 récifs. Relativement épargnée jusqu'à cette date, la partie sud de la Grande barrière australienne est désormais largement touchée.
Selon les scientifiques, certaines espèces survivront mais beaucoup peuvent déjà être considérées comme disparues. En février 2020, la température de l'eau n'a jamais été aussi élevée depuis 1900, début des relevés.
Certains scientifiques prédisent la disparition des coraux pour la fin de ce siècle.

L’acidification des océans
L’augmentation du taux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère occasionne une acidification des océans. Celle-ci entraîne des difficultés pour certains animaux, dont les coraux, à fabriquer leur squelette calcaire.

Le réchauffement du climat et l’acidification des océans sont dus aux gaz à effet de serre (dioxyde de carbone ; méthane …) composants de la très délétère pollution globale elle-même en grande partie liée à la démographie excessive.

La pollution
Il s’agit également une menace très grave pour les écosystèmes coralliens. Certains rejets (eaux usées non traitées, effluents miniers …) causant une turbidité de l’eau entraînent une diminution de la photosynthèse des algues symbiotiques et par voie de conséquence diminue la quantité de nutriments fournie aux polypes.
Mais il existe d’autres formes de pollutions : constructions littorales, extraction de matériaux…ainsi que le tourisme « sauvage ». Une ancre jetée sur un récif en détruit plusieurs dizaines de mètres-carrés.
Le tourisme réglementé semble moins dévastateur et touche, selon certaines sources, plus d’un million de personnes : plongeurs, plaisanciers … Ces activités réglementées nécessitent des milieux en bon état et obligent donc à leur protection, financée en partie par ceux qui en profitent.
On y pense peu et pourtant 4.000 tonnes de produits solaires, contenant des substances nocives, entrent en contact avec les récifs coralliens. Les crèmes solaires ne sont pas vraiment la menace principale pour les récifs mais elles participent à leur déclin. C'est un point sur lequel il est facile d'agir puisqu'il existe aujourd'hui de nombreuses marques bio "coraux compatibles".
Fort heureusement, aujourd’hui de nombreuses initiatives tendent à protéger les récifs mais … le réchauffement climatique semble bien loin d’être stabilisé et c’est probablement le danger actuel le plus important pour le corail.

La pêche
Les espèces vivant sur les récifs sont une source de nourriture importante pour les habitants, notamment dans les zones ou l’apport protéinique ne peut être qu’essentiellement marin. La surpêche peut également être considérée comme une conséquence plus ou moins directe à la surpopulation.
Les pêches destructrices (explosifs, cyanure …) causent d’énormes dégâts aux récifs et les appauvrissent petit à petit.
Fort heureusement de très nombreuses actions sont entreprises et font prendre conscience, aux habitants, de l’importance de la protection des écosystèmes coralliens. Dans de nombreuses zones, des opérations de réimplantation de coraux sont menées. La FFA participe à l’une d’entre elles, en Indonésie.

La prédation
RecifAcanthaster planciUne étoile, Acanthaster planci, a une alimentation basée sur les polypes coralliens et participe activement à la destruction des récifs. Des tentatives d'éradication n'ont obtenu, à ce jour, que peu de succès.
« En conséquence, aux racines des principaux maux qui menacent les récifs coralliens, de même tous les écosystèmes à des degrés divers, se trouve la démographie excessive de l'espèce humaine qui est en train d'envahir la planète au détriment de toutes les autres espèces.
Il est donc important de prendre en compte ces relations de causes à effets, si l'on veut tenter d'agir efficacement (2). »

Préservation, sauvegarde, réimplantation
RecifKKBIDe nombreuses actions sont en cours ou sont projetées pour tenter de sauver les récifs :
• Promotion d’une pêche durable auprès des pêcheurs locaux ;
• Réhabilitation de zones détruites par réimplantation de coraux. La FFA participe ainsi à une opération de réimplantation/réhabilitation en Indonésie ;
• Création d’un conservatoire mondial des coraux ;
• Création d’aires marines protégées ;
• Création de souches résistantes à la chaleur et à l’acidification de l’eau ;
• Action d’éducation à l’environnement ;
Mais il est évident que la meilleure des solutions serait l’arrêt immédiat du réchauffement climatique, objectif qui semble impossible à obtenir à moyen (et long ?) terme.
Le tourisme peut être une source de revenus destiné à la protection des récifs. Conscient de ce fait, de nombreux pays ont mis sur pied des structures et équipements respectueux des écosystèmes récifaux. C’est par exemple le cas de bouées d’amarrage destinées à éviter les dégâts occasionnés par les ancres.
Mais certains pays sont allés jusqu’à interdire purement et simplement la navigation, voire toute intrusion humaine, dans certains secteurs.

La France et les récifs coralliens
RecifBarriereMayotteLa France possède des territoires sur tous les océans du monde ce qui en fait le deuxième pays de par la taille de son domaine maritime. Nombreux sont ces territoires qui possèdent des récifs coralliens : La Réunion, îles polynésiennes, îles des Caraïbes … La France est par ailleurs le seul pays au monde à posséder des récifs dans les trois océans chauds :
   * Océan Pacifique : Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis et Futuna ainsi que Clipperton ;
   *  Océan Indien : La Réunion, Mayotte et les îles Éparses ;
   *  Océan Atlantique : Martinique, Guadeloupe, Marie-Galante, Les Saintes, la Désirade, St-Barthélémy et St Martin.
Les récifs français couvrent à peu près 55 000 km2 (soit 10% de la surface de la France métropolitaine) ce qui représente 10% de la totalité des récifs mondiaux.
Si le récif barrière barrière le plus célèbre, se trouve au nord-est de l’Australie (la Grande barrière de corail), la barrière calédonienne, avec 1600 km, est la seconde (suivie par la barrière corallienne du Bélize).
On trouve des doubles barrières en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte. Elles sont rares : dans le monde, elles se comptent sur les doigts de la main.
77 atolls sont recensés en Polynésie française ce qui représente 20% des atolls mondiaux.

Et si Darwin avait tort ?
C’est ce que soutiennent 2 chercheurs dans un article paru dans la revue « Annual review of marine science » en affirmant que les atolls, couronnes coralliaires entourant un lagon, ne sont pas d’origine volcanique comme l’affirmait Charles Darwin, mais sédimentaire.
Selon Darwin, les atolls résultaient d’un affaissement progressif d’un massif volcanique. À l’origine, le corail colonise le pourtour du massif volcanique. Ce massif s’affaissant, le corail se détache progressivement tout en progressant vers le haut de façon à rester à une profondeur optimale pour sa survie.
La théorie actuelle, confirmée par des carottages sédimentaires permet de déterminer trois étapes clef :
* De -3,2 à -3,12 millions d’années, une période climatique calme permet la formation de plates-formes calcaires sur les hauts-fonds de l’océan.
* Vers -2,5 millions d’années, un chaos climatique entraîne plusieurs périodes glaciaires et inter-glacières où le niveau des océans pouvait descendre jusque 130 mètres sous le niveau actuel. Lors des périodes où il se trouve émergé, le calcaire est dissous par la pluie et ruisselle pour s’accumuler vers le centre pour former une cuvette.
* Depuis 500 000 ans, le niveau des océans varie avec des amplitudes de l’ordre d’environ 130 mètres selon un cycle d’environ 100 000 ans. À chaque période d’immersion, les coraux reviennent occuper les bordures des plates formes et se développent verticalement suivant le niveau des eaux, formant ainsi l'atoll, cet anneau corallien entourant un lagon.


(1) - À noter qu’il existe également des coraux dits « mous » qui ne fabriquent pas de squelette calcaire.
(2) – Professeur Jean Jaubert


Bibliographie
 * Guilcher, L. Berthois, Y. Le Calvez, R. Battistini, A. Crosnier : Les récifs coralliens et le lagon de l’île Mayotte - Office de la recherche scientifique et technique Outre-Mer (ORSTOM) – 1965.
 *  Dossier pédagogique Récifs coralliens – Fondation Tara Océan – 2017
 *  Récifs coralliens, les joyaux d’Outre-Mer – IFRECOR - http://bit.ly/38bpMuq
 *  Pouvons-nous sauver les récifs coralliens – Nations-Unies - http://bit.ly/3moywT3
 *  Récifs coralliens, un enjeu pour l’humanité – Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) - http://bit.ly/34jjdVy


Avec nos remerciements au Professeur Jean Jaubert pour les précisions fournies lors de la préparation de cet article.
Paru dans "La Lettre de ProNaturA" d'avril 2021

J.Jacques Lorrin


 

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