Rouge Ph Martine Fiolet

Au début des années 1990 quelques les éleveurs du sud du Massif central s’alarment de la disparition de trois races ovines traditionnelles adaptées à leur terroir : la Caussenarde des garrigues, la Raïole et la Rouge du Roussillon. Ils décident alors de monter un programme de sauvegarde avec comme premier objectif de remonter les effectifs à 2 000 brebis par race.

La brebis Rouge du Roussillon
Il ne s’agit pas d’une très grande brebis.
Mais l’objectif premier est de conserver ses principales qualités d’élevage – très laitière sur les premiers mois, agneau « dense » et correctement conformé – tout en gardant un niveau de rusticité et de désaisonnement adaptés à une conduite typique d’arrière-pays méditerranéen : une ou deux périodes d’agnelage, agneaux broutards au printemps, utilisation de parcours et sous-bois cinq ou six mois de l’année, pas d’accélération, peu ou pas de concentrés.
N’étant pas une grande marcheuse, ce n’est donc pas à proprement parler une race de garrigues et de transhumance. Un troupeau conduit en parc broutera celui-ci tranquillement, quartier après quartier, Quant à suivre, voire précéder le berger, ce n’est pas non plus très ancré dans ses gènes ; introduire ne serait-ce que quelques caussenardes dans le troupeau pour entraîner les rouges du Roussillon facilite énormément les déplacements.

Rouge avec agneau Ph. Martine FioletL’agneau
Au démarrage, le plus original est son aspect : il naît souvent couvert d’un poil roux intense, évoquant la robe d’un veau salers. Dans les troupes plus métissées, beaucoup naîtront « rascles », c’est-à-dire couverts d’une laine fine couleur crème ; seules la tête et les pattes sont rousses, à peu près comme chez l’adulte.
Il est indéniable que les poilus roux du départ donneront ensuite les animaux les plus colorés. Cela dit, la mue démarre vers deux mois, et est achevée à quatre. À l’âge de la vente, le lot est donc devenu homogène au regard. Quant au poids final, il dépend avant tout de la valeur laitière de la mère.
Cette mue est parfaitement décrite sur l’ancienne barbarine et semble caractéristique de l’origine nord africaine. Cela dit, la tendance est de ne pas garder les sujets à mue tardive, gardant le poil roux dominant à quatre mois. On les soupçonne de donner des adultes peu lainés, des brebis se « déplumant » particulièrement pendant l’allaitement.
Autre paramètre, pour les troupes de plein air, les jeunes agneaux poilus craignent beaucoup moins les pluies printanières, même violentes, que les « rascles » ; et sèchent immédiatement.

Le plein air, est pratiqué par les deux tiers des éleveurs, en fait, tous ceux qui vendent en circuit court, avec un agnelage de printemps dominant, voire exclusif. Ces éleveurs cherchent donc à étaler leurs ventes entre quatre et six mois pour les agneaux classiques, souvent plus âgés pour les fêtes musulmanes. Une complémentation au pré peut être mise en place à partir de deux mois, en basse énergie le plus souvent. Mais son coût devient dissuasif. Après le sevrage, les agneaux sont gardés en bergerie et assez rapidement rationnés.

L’agneau rouge du Roussillon traîne la réputation de graisser un peu trop rapidement. C’est probablement vrai dans le système bergerie, avec des aliments « haute énergie » riches en amidons. Il semble aussi que les brebis complémentées en céréales sur la fin de gestation aient tendance à faire des agneaux gros, d’où quelques soucis à la mise-bas. Mieux vaut donc se tourner vers les régimes fibreux et leur demander de les valoriser au mieux. Notre expérience montre également que des mères à double, passant l’hiver au foin, vont maigrir sérieusement dans les derniers jours de gestation, certes mais se reprendront très vite à l’herbe, tout en allaitant. L’essentiel est qu’elles soient arrivées en état à la lutte et sur les deux premiers tiers de gestation ce qui semble être caractéristique des rustiques …

Le bélier
Depuis la création du centre en 1995, treize promotions ont permis de diffuser à ce jour trois cents jeunes béliers. Le rythme actuel est d’une petite cinquantaine par an, ce qui correspond à près de la moitié du pool de mâles actifs. Cela correspond à la volonté d’opérer un renouvellement très rapide.

Le démarrage du programme « tremblante », en 2002, est venu casser un peu le rythme, puisque 40% des mâles étaient homozygotes sensibles, et ont été rapidement éliminés : la qualité s’en est trouvée évidemment affectée.
Depuis, le travail s’est effectué sans marche forcée, avec beaucoup d’hétérozygotes, sans imposer trop rapidement les résistants à 100%, ni, surtout, les sur utiliser.
La fréquence allélique du gène ARR est arrivée à plus de 60% sur les jeunes générations, et le centre diffuse au moins 50% de résistants homozygotes. Les homozygotes sensibles sont moins de 5 % sur les dernières promotions, ce qui écarte tout risque sérieux d’épidémie.

Pour autant, le fonctionnement est encore loin d’un mode « croisière », dans la mesure où trois élevages fournissent régulièrement les trois quarts de la promotion, les autres restant surtout utilisateurs : on est encore loin du schéma idéal où les apports et achats de chacun sont équilibrés ...
Plusieurs raisons à cela : la jeunesse de plusieurs troupeaux, dont certains procèdent uniquement par absorption, sans achat de femelles ; pour d’autres, ce seront les conditions difficiles, le manque de ressources ou un mode très extensif, qui ne permettent pas aux jeunes d’exprimer leur potentiel assez rapidement.

Rouge Troupeau Ph M. FioletLa situation est elle dangereuse pour autant ? Nous ne le pensons pas, dans la mesure où, dès le départ de l’action, des mesures garde-fou ont été prises pour limiter le risque de consanguinité. Ainsi, chaque bélier est acheté au centre, utilisé au maximum sur cinquante brebis et pendant deux campagnes. Il peut être revendu une seule fois au sein de l’association, et doit quitter le schéma à cinq ans maximums. A la demande des éleveurs de caussenarde, le règlement technique de l’association tolère qu’un bélier sur trois soit issu de l’élevage mais les éleveurs de rouges n’utilisent pas cette dérogation. En outre, les principaux fournisseurs s’astreignent d’eux mêmes à renouveler encore plus rapidement, après une campagne, voire une et demie s’il y a deux périodes de lutte.

Lorsqu’un troupeau a acquis une certaine cohérence dans le phénotype, il peut devenir rapidement fournisseur de mâles à son tour. Il doit, même, présenter ses meilleurs agneaux mâles, entre deux et quatre mois, en vue du génotypage. Le tri s’effectue sur le phénotype, couleur notamment, mais sans être trop « chinois » sur les détails de standard (le but n’est pas de faire les expositions), sur la conformation et les aplombs bien entendu ; la valeur laitière de la mère est supposée bonne, puisque l’on trie sur la tête de lot ; on n’écarte pas les naissances doubles, sans les privilégier non plus particulièrement …

L’association est prioritaire à l’achat des meilleurs, aucune vente particulière n’étant autorisée en son sein. Après quelques mois de pension, afin d’homogénéiser les conditions d’élevage, les nominés sont présentés à la vente publique entre six et huit mois : vente en octobre pour les agneaux de printemps, en mars pour les agneaux d’automne, très minoritaires.

Accepter la contrainte du renouvellement rapide supposait deux conditions préalables : économiquement, fixer un prix modéré, à peine au-dessus de la valeur bouchère, pour rendre le renouvellement supportable ; psychologiquement, casser l’image du super mâle améliorateur dont la belle présentation laisse supposer que ses descendants seront forcément magnifiques, et que l’on utilise jusqu’au dernier souffle.

La « règle des quatre béliers » a permis de concrétiser le risque de consanguinité intra troupeau, exponentielle dès lors qu’on utilise peu de mâles et/ou qu’on ne les renouvelle pas assez vite. Le prix de vente, équivalent à une valorisation bouchère en vente directe, permet de déroger à cette loi non écrite qui veut que plus un mâle a coûté cher à l’achat, plus longtemps on risque de le voir sévir dans l’élevage …

En résumé, au lieu de fixer des règles lourdes visant à limiter la consanguinité inter troupeaux (rotation en horloge, logiciel sophistiqué, fournisseurs « interdits » …), nous laissons l’acheteur libre de choisir l’animal qui lui plait (après tirage au sort pour l’ordre de passage ; les apporteurs bénéficient d’un tirage préliminaire, mais pour un seul bélier) ; à condition de veiller ensuite à la consanguinité intra troupeau en respectant les règles définies plus haut.

Dans un tel schéma, le mâle est donc plus perçu comme un apporteur de « gènes frais », à renouveler rapidement, que comme un top model impeccablement conforme à un standard impitoyable ni comme un étalon forcément générateur de hautes performances techniques. Ce qui correspond bien à une race rustique, plutôt « race de femelles ».
Toujours est-il que, après une vingtaine d’années, en partant d’un noyau de mâles hyper réduit, les qualités d’élevage nous paraissent excellentes : fécondité, prolificité correcte mais sans naissances triples, fort instinct maternel (aucun refus d’adoption chez les primipares), agneaux dégourdis à la naissance ; disparition des tares physiques (les bégus n’étaient pas rares au début), des prolapsus vaginaux, mammites devenues exceptionnelles …

Rouge avec agneau2 Ph. Martine FioletEn conclusion
Le programme de conservation, puis de relance, a permis jusqu’ici de recréer une population cohérente, apte à valoriser des milieux d’arrière-pays méditerranéen, herbagère et relativement pastorale, peu ou pas dépendante d’un apport de concentrés, ce qui a toujours été au cœur de nos préoccupations.

La Rouge du Roussillon ne présente pas la rusticité extrême d’une caussenarde des garrigues, ni son désaisonnement intégral mais produit des agneaux faciles à vendre dans tous les systèmes, grâce notamment à une valeur laitière reconnue de longue date.

La population actuelle approche les quatre mille brebis, détenues par une trentaine d’adhérents, et les arrivées excèdent nettement les départs. C’est une progression modeste, mais encourageante dans un contexte régional de déprise chronique, voire accélérée, de l’élevage ovin allaitant.

Les troupeaux recréés sur l’Aude, l’Aveyron ou le Tarn sont le fait de néo-ruraux, sédentaires pour la plupart, adeptes de l’agnelage de printemps et de la vente directe.
En revanche, sur les Pyrénées Orientales, en Cévennes ou en Ardèche, la rouge du Roussillon se découvre une petite vocation de transhumante : Canigou, Aigoual, Tanargue et même Savoie ! Lors de la fête de la transhumance de l’Espérou, le hasard veut qu’elle apparaisse même comme majoritaire dans les troupeaux exposés, ce qui n’est tout de même pas représentatif !

Elle ne connaîtra peut-être pas l’essor spectaculaire de sa cousine provençale Mourérous ; les structures de troupeaux et l’espace disponible ne sont tout de même pas comparables. Mais elle devrait poursuivre son petit chemin localement ; ne reste plus qu’à arracher encore quelques vignes, à relancer l’abattage à la ferme et contenir les loups outre Rhône … Toutes les contributions seront bienvenues !


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Avec tous nos remerciements à Martine Fiolet qui nous a fourni une documentation très importante sur cette race ovine.


 Texte : Jean-Jacques Lorrin - Photos : Martine Fiolet

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